18 - 05
2010
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"Another Year" (Another Year), la critique de Benoit Thevenin en direct de Cannes
Tom et Gerri – la blague, ils ont apprit à vivre avec depuis longtemps – sont un couple épanoui d’une soixantaine d’année. Ils reçoivent à la maison, au gré des saisons qui défilent, Mary (Lesley Manville) une amie et collègue de Gerri. Mary est divorcée, ne fait pas tout à fait son âge, et désespère de trouver de nouveau l’âme sœur.
Mike Leigh est l’un des deux cinéastes en compétition à Cannes 2010 à avoir déjà gagné la Palme d’Or . C’était avec "Secret et Mensonge" en 96. Ca ne fait pas pour autant de lui un grand cinéaste et ce n’est pas non plus "Another Year" qui infirmera le constat. Mike Leigh est néanmoins un cinéaste intéressant, auteur par exemple du marquant "Vera Drake".
C’est d’ailleurs Imelda Staunton, l’inoubliable actrice qui incarnait Vera Drake, qui ouvre le bal. Elle confie à un médecin, qui s’avèrera être Gerri, ses problèmes d’insomnies, entre autre. La séquence est isolée du reste du film, on ne reverra pas la dame insomniaque. Leigh prend seulement soin de présenter sommairement chacun de ses personnages, ce qui permet de mesurer la grande proximité entre tous.
Leigh déroule ensuite tranquillement une histoire inintéressante au possible, figée dans l’appartement de Tom et Gerri et sa mise en scène théâtrale, très bavarde et plus fatiguante que divertissante ou captivante.
Le récit est particulièrement convenu et balisé, découpé en quatre partie qui sont très simplement les quatre saisons. Printemps : Mary est en quête d’amour, un peu déboussolée mais en quête d’amour. Eté : elle se découvre de passion pour quelqu’un de plus jeune qu’elle. Autome : elle subit la décéption de voir son fantasme convoler dans les bras d’une autre. Et comme Leigh a de la suite dans les idées, on ne nous épargne pas la séquence enterrement (+ enterrement des illusions de Mary) pour l’hiver.
Convenu et bavard, "Another Year" est aussi très long (2h10 quand même), et particulièrement pénible. Le stéréotype du couple d’ami parfait est des plus agaçant. Les autres personnages autour (le fils, le frère lointain, l’ami beauf etc.), ne sont pas moins formatés. Et puis pour ajouter à l’impatience d’en finir, il y a le jeu de Lesley Manville, particulièrement insupportable car sans cesse excessif. "Another Year" touchera sans doute quand même le public car il est impossible de nier une sensibilité propre, un charme simple qui raisonnera en écho chez certains. Les autres qui ne seront pas touchés, qui ne se reconnaîtrons pas dans ces personnages, auront eux plus de chance de s’agacer de cette bienveillance qui caractérise si bien le film dans son ensemble…
BT/Laterna Magika
"La Princesse de Montpensier" (Bertrand Tavernier), la critique de Benoit Thevenin en direct de Cannes
"La Princesse de Montpensier, sortie 10 novembre 2010
En adaptant Madame de La Fayette, Bertrand Tavernier effectue un virage à 90 degrés par rapport à son dernier long-métrage jusqu’alors, "Dans la brume électrique", polar hanté tourné en anglais à La Nouvelle Orléans. Le film est une grande réussite et prouve la forme d’un cinéaste vétéran dont on se désespérait un peu – depuis "L’Appât" et "Capitaine Conan" au milieu des 90′s – qu’il nous offre encore de grands films. "La Princesse de Montpensier" est l’antithèse de "Dans la brume électrique", une adaptation fidèle, réalisée classiquement mais pas non plus de façon pantouflarde, d’un classique de la littérature française.
Contrairement à Christophe Honoré, le dernier à avoir adapté Madame de La Fayette (La Princesse de Clèves) avec "La Belle Personne", Bertrand Tavernier a préféré une adaptation très traditionnelle, avec costumes, chevaux et une élocution un peu particulière des personnages, comme si décidément, dès lors qu’un film est en costume, les héros ne peuvent déclamer leurs textes naturellement. Cela fonctionne néanmoins, ce n’est pas un reproche, juste une interrogation passagère. D’ailleurs, les acteurs sont globalement très bons, spécialement Lambert Wilson qui porte véritablement tous le film sur ses épaules. Mélanie Thierry lui offre une réplique juste, et elle rayonne en plus de beauté. Finalement, c’est Grégoire Leprince-Ringuet (qui était déjà de "La Belle personne") qui soutient le moins bien la comparaison avec le reste du casting.
Bien rythmé, réalisé proprement mais sans morceau de bravoure, "La Princesse de Montpensier" peut décevoir par son classissisme autant que satisfaire ceux qui aiment le romanesque, les grandes passions amoureuses etc. Les lecteurs de Madame de La Fayette y trouveront eux aussi leur compte.
BT/Laterna Magika
"Un Homme qui crie" (Mahamat Saleh Haroun), la critique de Benoit Thevenin en direct de Cannes
"Un Homme qui crie", sortie 22 septembre 2010
La présentation à Cannes d’"Un Homme qui crie" coïncide avec le cinquantenaire des indépendances africaines. La sélection du film est un évènement en soi car rare sont les longs-métrages produits sur le sol d’Afrique à franchir la mer et concourir pour la Palme d’Or. Mahamat-Saleh Haroun livre un métrage que l’on rapproche naturellement de "Chongqing Blues" de Wang Xiaoshuai, également en lice pour la Palme cette année et présenté quelques jours auparavant en ouverture de la compétition. Ce que les deux films partagent, c’est cette figure d’un père sur les traces de son fils. Les causes et conséquences ne sont pas les mêmes, mais la façon d’intérioriser les douleurs chez l’un et l’autre personnage conduit quelque peu à faire le rapprochement.
Dans le film de Mahamat-Saleh Haroun, le père est un maître-nageur – ancien champion national de natation – dans un complexe hôtelier à Ndjamena. La vie semble paisible, l’hôtel constituant un havre de paix préservé des troubles dont la radio rend compte. Le climat général est alors assez peu évident à appréhender. La réalité d’une menace existe, tout le monde en a conscience, mais le récit se déroule dans une quiétude qui n’est pas si rassurante. Chacun est fragile, il y a possibilité d’un endormissement alors même que ce qui se joue par ailleurs est grave et pourrait tout compromettre.
Le cinéaste décrit une situation qui n’est pas seulement celle du Tchad ou des nations africaines en péril à cause des mouvements rebelles. Haroun évoque une histoire simple mais qui dissimule plusieurs couches. La guerre est autant intime, sociale que politique. La guerre intime se noue autour de la relation entre le fils et le père. Pour ce dernier, la natation représente toute sa vie et il n’accepte pas que son fils lui vole sa place, le relègue à une fonction différente et symbolique (garde-barrière) car lui aussi a besoin de travailler. La dégradation du contexte social divise une famille qui initialement parait a priori solidaire et apaisée.
En parallèle, une guerre civile plombe toute l’ambiance. Un mouvement rebelle conteste l’autorité du gouvernement. Une contribution à l’effort de guerre est exigée et le père accepte de livrer son fils à l’armée. Il en aura vite le remord, d’où l’idée d’un père sur les traces de son fils. Tranquillement et sans heurt visible, tout se détériore alors, la famille, le social et le politique donc. Un très beau film, simple et profond qui mérite une véritable attention.
BT/Laterna Magika
"Biutiful" (Alejandro Inarritu), la critique de Benoit Thevenin en direct de Cannes
"Biutiful", sortie 25 aout 2010
"Biutiful" est le premier long-métrage qu’Inarritu réalise d’après un scénario qui n’a pas été écrit par Guillermo Arriaga. Si l’on retrouve de nombreux thèmes de ses précédents films, un aspect multi-culturel, un goût pour le pathos et les tragédies sanitaires, "Biutiful" est quand même un film différent car ne répond pas à la logique kalédeoscopique de ses autres longs-métrages. On est soulagé, car ca commençait à devenir un peu trop systématique et de plus en plus tiré par les cheveux.
Cette fois, l’histoire se déroule à Barcelone autour d’un père divorcé et ses deux enfants. Uxbal (Javier Bardem) mène une vie marginale, chapeaute un peu les trafics des immigrés illégaux dans la ville. Uxbal est un personnage complexe, assez dure et pas forcément sympathique. S’il aime ses enfants, il faire preuve d’un manque de patience, y compris avec eux. Il faut dire que la vie est difficile, qu’il peine à joindre les bouts et qu’en plus le sort s’acharne sur lui. Dès le début, parce qu’on fait quasiment connaissance avec Uxbal dans les couloirs d’un hôpital, on devine qu’il est atteint par un mal très grave. La révélation exacte de sa maladie interviendra plus tard, mais il n’y a guère de doute. Uxbal choisit de ne rien révéler et de continuer de vivre ce qui lui reste sans avertir personne. Son caractère s’assombrit davantage, son corps est de plus en plus marqué.
Incontestablement, "Biutiful" est un film misérabiliste, et il ne faut pas être allergique au genre. Inarritu n’étant pas le cinéaste le plus subtil du monde, il y a des raisons de s’inquiéter. Néanmoins, le drame fonctionne, et si le film est lourd et plombant, on note quand même qu’Inarritu a le soucis de ne pas rajouter de l’affect à l’affect. Il faut dire que la barque est déjà largement chargée.
"Biutiful" ressemble à "A la recherche du bonheur" de Muccino, mais dans une version nettement moins angélisée et douce, que le mélo avec Will Smith. L’ambition de mise en scène d’Inarritu est également très supérieure et c’est ce qui fait plus que tout le reste l’intérêt et la qualité de ce film. Inarritu démontre à presque chaque plan son talent de metteur en scène.
Sombre et désespéré, "Biutiful" flirte parfois avec la complaisance par rapport à son personnage. Le film est autant haissable que admirable, et presque pour la même raison, pour l’émotion qu’il tente de déployer. "Biutiful" est un tire-larmes, un vrai, et c’est ce qui peut agacer. Les vingt dernières minutes, à partir de la confrontation entre le père et la fille, sont même particulièrement lourdes, surtout que le cinéaste ne peut s’empêcher l’artifice des poitrines collées et qui battent violemment l’une contre l’autre pour faire pleurer dans les chaumières. Inarritu, cinéaste racoleur ? On l’avait déjà noté bien avant, au moins dès "21 grammes". La pilule passe encore, mais peut-être de moins en moins. Inarritu se veut sans doute un grand cinéaste humaniste. Son cinéma est juste d’un humanisme consensuel, ce qui fait que son film plaira encore, sans doute. De là à primer "Biutiful" à Cannes ? Il ne faudrait pas abuser. Cela dit, Javier Bardem, formidable encore, de tous les plans et qui soutient donc le film de A à Z, est forcément un candidat crédible pour le prix d’interprétation.
BT/Laterna Magika
Lambert Wilson et Xavier Beauvois pour la présentation des "Hommes et des dieux" (photo Isabelle Vautier)
Mots-clés : Cannes 2010, Another Year Another Year, La Princesse de Montpensier, Bertrand Tavernier, Un Homme qui crie, Mahamat Saleh Haroun, Biutiful, Alejandro Inarritu