17 - 05
2011
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Hommage à Belmondo hier mardi avec une palme d'or honorifique remise par Gilles Jacob, la présence tous ses copains du conservatoire encore vivants (Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Pierre Vernier), un documentaire "Belmondo, itinéraire", projeté simultanément à Cannes et sur France 2. On y voit fugacement le témoignage d'une Marie-France Pisier un peu éteinte, sa partenaire dans "Le Corps de mon ennemi" d'Henri Verneuil (1976) (film magnifique méconnu où elle joue une riche héritière amoureuse d'un Bébel, gendre idéal, puis, scandaleux, qu'une ville bien-pensante, pervertie et sous la coupe d'un grand industriel/Bernard Blier, va adouber puis honnir quand il ouvre une boite de nuit un peu spéciale) ; sa partenaire aussi dans "L'As des as" que Bebel surnommait "Marie-France, la star de la cinémathèque".
Une journée de mardi plus sympa que la veille où, voulant rattraper "Michael" (compétition) dans une salle du marché, soudain, on décide "Buyers only", j'objecte que ce n'était pas mentionné sur le programme très pointilleux là-dessus. En pratique, entre les amis et les acheteurs, comme la salle ne fait que 67 places, je reste sur le carreau. J'enchaîne par un brin de shopping dans une rue à étiquette "chic" derrière la Croisette, me fait suivre et insulter par deux types désoeuvrés, ne sachant que faire, me réfugie au bar de l'hôtel Gray d'Albion où règne luxe et volupté, petits fauteuils en cuir doré mat et service raffiné. Heureusement, une invitation de dernière minute à la soirée des Magritte du cinéma belge, équivalent de nos César, avec concert privé sur le toit du Radisson, hôtel spa luxueux installé sur le vieux port, qui domine toute la baie de Cannes, me change les idées, c'est bondé mais le public est quinze fois plus chic que sur les plages et la musique top, je dévouvre la scène belge (Selah Sue et Puggy).
Magritte du cinéma belge et concert privé Selah Sue
Puggy (toit du Radisson hotel lundi 16 mai 2011)
Mardi donc, hier, deux films en compétition pas très excitants sur le papier et pourtant! Le premier, "Le Havre", tourné en France avec des acteurs français par le réalisateur finlandais Aki Kaurismäki, réalisateur phare des années 90, le second, "Pater" du doyen de la compétition, Alain Cavalier, film annoncé "une des choses les plus bizarres de l'histoire du cinéma" de la voix même du sélectionneur à la conférence de presse de la sélection officielle en avril. A la sortie, deux succès, excellent accueil pour le "Le Havre", ovation pour "Pater" qui a tout de même découragé un bon quart de la salle pendant la projection. Mais ceux qui sont restés ont aimé au delà de la mesure. On parle même d'une palme...
"Le Havre" d'Aki Kaurismäki
photo Pyramide
Pitch.
Un ex-écrivain bohème, exilé au Havre où il exerce la profession de cireur de chaussures, est amené à cacher un adolescent dont la famille vient d'être arrêtée avec un camion d'immigrés clandestins.
Deux cireurs de chaussures au Havre, Chang, travailleur sans papiers depuis douze ans, et Marcel Marx, ancien écrivain, bohème patenté dont l'épouse, Arletty, très malade, épargne son irresponsable de mari en minimisant les choses. Hospitalisée, Arletty obtient du médecin qu'il ne dise pas à Marcel qu'elle est condamnée. Marcel ne gagnant pas grand chose de ce nouveau métier, les commerçants du quartier dont la boulangère, lui font crédit plus ou moins volontiers. Un jour, la police du Havre arrête un camion d'immigrés clandestins africains, un gamin réussit à fuir et se cacher. Comme dans "Welcome" mais dans un ton radicalement opposé, Marcel, perdu sans sa femme, va recueillir Idrissa, l'adolescent, le dissimuler à la police et réunir l'argent pour essayer de le faire passer à Londres. Pour cela, il convainc la chanteur Little Bob de donner un concert (superbe BO).
Parmi les personnages hyperstylisés s'exprimant de manière distanciée, le commissaire de police Monet est interprété par Jean-Pierre Darroussin qui réussit toujours à faire passer un naturel extraordinaire même dans des rôles de composition, ici, pardessus et chapeau noir, physionomie rigide. Les lieux de prédilection de Marcel sont toujours les mêmes : le bistrot, la boulangerie, l'épicerie, décors de cinéma colorés et montrés comme tels par le réalisateur.
L'univers de Kaurismäki est inchangé, personnages, costumes et décors très stylisés, dialogues surécrits, très châtiés (des subjonctifs), humour et décalage, composition raffinée des plans. Mais ici, malgré un sujet d'actualité difficile, l'immigration clandestine, le propos est paradoxalement optimiste, un conte politique traité de manière non réaliste, un récit pavé de bons sentiments. On est content de retrouver Jean-Pierre Léaud dans un petit rôle de collabo, lui qui avait le rôle principal dans un des premiers films de Kaurismäki distribué en France "J'ai engagé un tueur" (1990), sans doute l'acteur dont le jeu colle le mieux à son univers.
"Pater" d'Alain Cavalier
photo Pathé
sortie 22 juin 2011
Pitch.
Un réalisateur et un comédien. Ils cherchent un film à tourner ensemble. Jouer au président et à son premier ministre. Le film les montre dans la vie et dans cette fiction qu'ils inventent ensemble.
Alain Cavalier et Vincent Lindon, amis dans la vie avec une relation de type filial, se demandent tout en partageant des petits plats et autres plaisirs quotidiens, quel film ils pourraient faire ensemble, par exemple, jouer aux hommes de pouvoir, le premier président choisissant le second comme premier ministre lui proposant un programme qu'ils potassent ensemble.
L'occasion de faire un procès très drôle mais sans concession de notre société sur le ton "café du commerce" : les hommes d'affaires qui émigrent hors de France ne devraient pas avoir droit à la sécurité sociale et rendre leur légion d'honneur, le syndic de Vincent se couche devant la société d'un styliste célèbre mais le force à payer un ascenseur dont il n'a pas besoin, le salaire minimum, c'est bien, le salaire maximum ça serait bien aussi... Les liftings à 3000 Euros, l'unique valeur pognon de la jeunesse, les vêtements hors de prix payés par la production du film, tout y passe...
Mélange de fabrication du cinéma et de cinéma lui-même, on ne pose pas la limite, les deux s'appelant toujours Alain et Vincent, qu'ils soient dans la préparation d'un film pour lequel ils cherchent des idées ou dans un jeu de rôles. Alain Cavalier et Vincent Lindon jouent tour à tour leurs propres rôles et le tandem président/premier ministre, cette fiction absurde "pour rire" qu'ils ne tourneront pas ou plutôt qui s'intègre à cet OFNI, ce drôle de portrait double. On joue aux hommes de pouvoir, les hommes de pouvoir jouent aussi, quand est-ce qu'on cesse de jouer? La vie est un théâtre. Vincent Lindon est extraordinaire dans ce film, je ne le croyais pas capable d'une telle performance toute en nuances.
PS. Le film est tellement peu facilement descriptible que je recopie ci-dessous l'extrait d'un dossier de presse qui est quasiment vide :
Vincent Lindon et Alain Cavalier, liés par l’amitié, presque comme fils et père. Boire du Porto dans les bars, se demander quel film on peut faire ensemble. De temps en temps, mettre une cravate et un costume. Se filmer en hommes de pouvoir. Histoire de voir jusqu’où on peut mettre les pieds dans le plat. Histoire de rire. Histoire à dormir debout, si on confond histoire personnelle et histoire tout court. Et toujours, la bonne question sans réponse du cinéma : est-ce vrai ou pas ?
Mots-clés : Cannes 2011, Le Havre, Aki Kaurismäki, Pater, Alain Cavalier